SÉMINAIRE – Pratiques d'enquête sur les rapports sociaux de race en France hexagonale et ultramarine
3 févr.-17 mars 2022 Paris (France)
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Argumentaire du séminaireSÉMINAIRE – Pratiques d’enquête sur les rapports sociaux de race, en France hexagonale et ultramarine (1)
Organisé avec le soutien du CESSP
1ère session : décembre 2020 à Février 2021, en ligne (EHESS)
Objectifs du séminaire
Les études de race ? Un espace universitaire éclaté et latent
Les manières de nommer, de définir et d’appréhender la race en tant que rapport social sont multiples et éclatées. La diversité des approches universitaires des rapports sociaux de race dessine une constellation de champs d’études (études africaines, études des migrations et immigration, études coloniales et postcoloniales, cultural studies, critical race studies, ...) et de concepts (relations interethniques, classes populaires, rapports sociaux de race, intersectionnalité, discrimination, racisme, antisémitisme, islamophobie, minorités, ...), qui contribue à l’éclatement disciplinaire et rend complexe l’appréhension des questions raciales. Ces différentes conceptualisations reflètent l’ampleur des circulations entre champs intellectuels nationaux. Les littératures féministes, le black feminism, les littératures d’Afrique de l’Ouest ou antillaises francophones, de la négritude ou des subaltern studies, ont largement circulé au cours du dernier demi-siècle dans des échanges ne se limitant pas au simple espace transatlantique. Jamais simples impositions, les traductions et les échanges ont occasionné un élargissement du répertoire français des modes d’appréhension de la race et des processus de racialisation. Il semble cependant qu’au-delà de l’éclatement, un sous-champ de la question raciale tende à se structurer, en France (Bouzelmat, 2019) comme à l’échelle européenne. Cet espace à la fois latent et controversé, est émaillé de questions de légitimité et est sujet à controverses intra et extra-académiques (Hajjat et al., 2019). Mais il semble animé depuis quelques années, par un enjeu central : celui de l’institutionnalisation d’un sous-champ disciplinaire qui réunisse les approches et les lieux de discussion autour des rapports sociaux de race. Ainsi, ces dernières années ont été marquées par une multiplication de colloques, séminaires, journées d’études et ateliers axés spécifiquement sur les questions raciales. De projets de longue durée tels que l’ANR Global Race de l’INED ou le séminaire Histoire sociale des populations noires à Paris 8, à des projets plus ponctuels comme les journées La condition blanche ou plus récemment Black studies organisées à l’EHESS, la période est particulièrement riche pour les chercheur.se.s et jeunes chercheur.se.s intéressé.e.s par les questions de race (2). Une entrée par les pratiques de recherchePourtant, au sein de cette offre renouvelée et de ces différents espaces, les discussions restent souvent d’ordre épistémologique et conceptuel. En effet, peu de place est accordée à la réflexion sur les pratiques de recherche, les liens entre pratique et théorie, de même que sur les méthodes d’enquêtes et la construction d’objet. Il est pourtant crucial de se saisir ou de construire des méthodes adaptées pour opérationnaliser nos recherches sur les questions de race en contexte français. Comment parvient-on à allier réflexion autour des usages des concepts en partant de nos terrains ? L’intention de ce séminaire est de réfléchir les rapports sociaux de race à l’aune des pratiques d’enquête et de l’analyse empirique. Nous entendons rapports sociaux de race dans le sens développé par Colette Guillaumin, Danièle Kergoat et les féministes matérialistes françaises. Il s’agit, bien sûr, de ne pas prendre les catégories pour acquises, mais de questionner les dynamiques de leur production à la fois matérielle et symbolique par différents agents (individus, groupes ou institutions). Nous prendrons donc soin d’étudier la race sous l’angle double des processus de racialisation et de racisation (Poiret, 2011). C’est dans cette perspective et à la suite de toutes ces initiatives que s’inscrit ce séminaire autour des pratiques d’enquête sur les rapports sociaux de race en France (hexagonale et ultra-marine).
Des questions méthodologiques spécifiquesL’analyse des questions de race entraîne des réflexions méthodologiques spécifiques, souvent peu appréhendées. Un tel séminaire sera d’abord l’occasion de travailler les modes de désignation et de conceptualisation. Quels mots utiliser pour qualifier la race ? Quels concepts choisir entre racialisation ou ethnicisation, intersectionnalité, consubstantialité, coextensivité, altérisation, catégorisation, discrimination, populations racisées ou immigrées, ethnicité, relations interethniques, ou encore race ? Sans revenir sur l’histoire de ces concepts, comment les traduit-on en méthodologies d’enquête et en objets de recherche circonscrits ? Comment opérationnaliser les concepts ? (Sarah Mazouz, 2015) Ces questions liant pratique et théorie, et envisageant la race au sein de la structure complexe des rapports sociaux (de genre, de classe), seront abordées au fil des séances. La présentation de travaux en cours ou récents portant sur des objets variés ainsi que la perspective comparatiste qui en résulte ont également pour but de contribuer à la réflexion sur les processus de racialisation. Comment l’historicisation et la comparaison éclairent-elles le caractère multiple et évolutif des modes de construction, de maintien et de recomposition de la race ? Caroline Reynaud-Paligot (2006) montre par exemple que les processus de racialisation ont joué un grand rôle dans la construction des identités nationales européennes avant même les périodes coloniales et esclavagistes. A partir de différents cas, comment dégager des mécanismes transposables afin d’analyser les processus de racialisation et de racisation ? Aborder l’aspect empirique des recherches sur la race donne aussi l’occasion de remettre la réflexivité et la position des chercheur.se.s au coeur de la discussion. D’abord parce qu’approcher les phénomènes raciaux, c’est traiter d’expériences qui ne sont pas visibles ou partagées de tou.te.s. Peut-on ainsi associer les méthodes classiques de la sociologie avec les approches féministes d’épistémologie du point de vue ? (Hill Collins, 2008) Comment “objectiver l’objectivation” quand on travaille sur les rapports sociaux de race ? (Bourdieu, 1984) De même, comment travailler sur ses propres prénotions quand on a l’impression d’être proche ou éloigné.e de son objet ? On pourra à cette occasion revenir sur ce que “se situer” veut dire. Comment se situer en reprenant en compte la fluidité des rapports sociaux de sexe, classe, race en contexte d’enquête ? Comment analyser l’interaction entre sa position et son objet/terrain sans simplement énoncer sa propre position au sein des rapports sociaux ? Ces préalables de la construction de l’objet pourront être examinés au sein du séminaire. Enfin, travailler sur les questions de race dans un contexte de forte politisation extra-académique et de prolifération des discours en politique et contexte militant présente d’autres difficultés. En effet, comment travailler les frontières entre les catégories indigènes, le sens commun et les concepts scientifiques ? Comment analyser la circulation des modes de classement, d’identification et d’assignation entre différents univers sociaux ? A quoi servent les catégories raciales dans la pratique des agents ? Que révèlent-elles de la structure des rapports de domination et d’exploitation dans les espaces étudiés ? Ce séminaire a pour intention principale de poursuivre tout au long des séances la réflexion autour des processus de racialisation. Dans cette perspective, on portera une attention particulière aux méthodes d’enquête choisies et développées pour étudier et objectiver ces objets (entretiens, ethnographie, archives, méthodes quantitatives, comparaison, etc.). Comme toute réflexion sur les modalités de l’objectivation, on y prend le parti que les méthodes et l’objet sont toujours coproduits. La spécificité, la fluidité et le caractère situé des phénomènes raciaux appellent une réflexion autour des méthodes d’enquête permettant de les appréhender. En s’y engageant, on ne se lance pas seulement dans une réflexion méthodologique ou épistémologique sur les rapports sociaux de race. On se donne également les moyens d’examiner à la fois la multitude et la systématicité de leurs modalités de production et de manifestation. Comité scientifique
Organisation du séminaireLe séminaire se déroulera en six séances, un à trois jeudi par mois, de décembre 2020 à février 2021. Il s’articulera autour des différentes méthodes d’objectivation de l’enquête en sciences sociales : les entretiens, l’ethnographie (2 séances), les archives, les méthodes quantitatives, la comparaison, qui feront tous l’objet d’une séance. Chaque séance sera l’objet d’une présentation d’une trentaine de minutes par deux intervenant.e.s, d’une discussion par le ou la discutant.e invité.e, et d’un débat avec la salle. Les intervenant.e.s seront prié.e.s de faire parvenir aux organisatrices un support de présentation au format libre (compris entre 20 et 60 000 signes), que celles-ci feront circuler aux participant.e.s du séminaire. Nous les remercions d’avance pour le respect de cette règle qui ne pourra que rendre propice la richesse des discussions.
Orientatons bibliographiques
(1) On utilise ici le terme « race » sans guillemets, comme construction sociale, et non biologique, « pour désigner le rapport social qui racialise une différence sociale » (Dorlin, 2005).Comme Joan W. Scott conçoit le genre, nous concevrons la « race » comme une catégorie utile à l’analyse, en tant qu’« élément constitutif des rapports sociaux fondés sur des différences perçues » et « une façon première de signifier des rapports de pouvoir » (Scott, 1988). (2) Cette liste, si elle ne l’est pas, mériterait d’être exhaustive. Pour l’année 2019, le site internet Calenda recense par exemple 3 séminaires, 2 colloques, 2 Journées d’étude et 9 appel à communication utilisant le mot “race” dans leur titre ou leur résumé. Parmi eux, on peut également citer les séminaires « Fight The Power » ? Musiques hip-hop et rapports sociaux de pouvoir au Cresspa, Globalisation du référentiel racial. Europe, Amérique du Nord, Amérique du Sud (XXe-XXIe siècles) (ANR Global Race) ou Race et psychiatriedu CESSMA. |
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